WHO I AM:
Jean-Marc Collier (Belgique)
Peintre, illustrateur, décorateur
Né à Bruxelles en 1954, Jean-Marc COLLIER se passionne dès son enfance pour le dessin et la peinture. Diplômé comme ingénieur civil architecte à l’Université Catholique de Louvain (UCL), il y est engagé comme chercheur et assistant en urbanisme avant de partir pendant deux ans travailler pour le compte des monuments historiques d’Algérie à Ghardaïa, oasis saharienne classée sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Malgré son intérêt pour son métier, il se rend compte de l’impuissance de l’urbaniste, désireux de penser la ville comme un lieu de vie, dans le monde contemporain dominé par l’intérêt économique et une rationalité productiviste façon Le Corbusier. Il décide alors, avec la complicité de sa femme, Bernadette Cherton, styliste et sculpteur, de fonder un atelier de création autour de la peinture, des décors de théâtre et d’architecture intérieure, avant de se concentrer sur la réalisation de fresques intérieures et extérieures et souvent monumentales. Il se distingue d’autres artistes modernes par son approche qui renoue avec la tradition de l’atelier de peinture préclassique. Il se met au service de ses commanditaires qu’ils soient princes et princesses (il en existe encore au Royaume de Belgique), municipalités, intellectuels, médecins, restaurateurs, fonctionnaires ou caissières de supermarché. Il ajuste ses pinceaux aux rêves (et aux possibilités financières) de ses commanditaires, rêves qu’il excelle à découvrir avec un art de la maïeutique aussi développé que ses capacités d’adaptation à tout type de style pictural ou historique. Il est capable de construire une œuvre originale dans le style de Hans Friedrich en utilisant la technique du pointillé de Georges Seurat, de décorer l’intérieur d’un palais du début du XX° siècle de fresques rappelant Gustav Klimt, de peindre une fresque vénitienne autour d’un lustre de Murano.
Sa connaissance en matière d’ingénierie architecturale le conduit à réaliser des fresques monumentales commanditées par des associations, des entreprises ou des autorités publiques. Ainsi, la plus grande fut l’une de celles commandées par la Commune d’Anderlecht : plus de 1.000 m2, un véritable exploit. Ce travail en plein air, au milieu des passants, lui permet d’ouvrir un dialogue avec les curieux et d’intégrer dans sa peinture des éléments où les habitants du lieu pourront se reconnaître. Ainsi, ses fresques racontent l’histoire d’une personne, d’une famille ou d’une entreprise. Chaque détail devient une référence, une allusion ou un symbole. Jean-Marc Collier joue ainsi avec l’espace et le temps, la perspective et les paysages dans des “vedute” et des trompe l’œil où tous les détails ont un sens pour le commanditaire et pour le spectateur. Ses fresques se retrouvent tant en Belgique que dans d’autres pays européens.
Il adopte une approche similaire dans son travail sur chevalet, le plus souvent là aussi résultat de commandes et d’enquête sur les rêves de ses clients, comme dans ses œuvres plus personnelles. Fasciné par le rapport entre le vrai et le faux, le réel et l’imaginaire, la représentation intemporelle de l’espace le conduit à mélanger lieux et styles dans un onirisme souvent surréaliste (il est belge après tout) pour créer des mosaïques urbaines où se fondent des bâtiments de différentes époques. Sa peinture est une perpétuelle interrogation sur le temps fondu dans l’espace et leur poésie. Mais il a aussi ses jardins secrets : le dessin sur d’innombrables carnets de voyages réels ou imaginaires, ses tableaux personnels où il se plait à explorer ses propres rêveries.
La plupart de ses toiles étant achetés par des collectionneurs privés ou publics européens au fur et à mesure de leur production, il a été, et il est souvent difficile d’en rassembler suffisamment pour les nombreuses expositions qui lui sont proposées. Enfin, quand l’occasion s’en présente, il lui plaît aussi d’illustrer des ouvrages.
Bibliographie succincte :
Critique de l’approche fonctionnaliste en matière d’urbanisme : « Urbanisation et désocialisation urbaine » Reflets et perspectives de la vie économique, Tome XXIV, N° 2/3, mars 1985
Illustration d’ouvrage : « Si l’Euro m’était compté/conté » texte de Thierry Vissol, illustrations de Jean-Marc Collier, Editions la Bohème, Paris, 1998
Jean-Marc Collier a décrit sa démarche et la philosophie qui l’inspire dans un ouvrage collectif, sous la direction de Aurélie Choné « Villes invisibles et écritures de la modernité », Daniel Cohen éditeur, collection Orizons, 2012
Site web : http://www.jmc-peinturemurale.com/
Image en vedette: Le fond du jardin
Intervista di Thierry Vissol
– Depuis l’enfance tu as toujours été un dessinateur et un peintre compulsif. Pourquoi avoir choisi d’étudier l’architecture et l’ingénierie et non de faire les Beaux-Arts ?
Pour la simple raison que je n’ai pas vraiment choisi! Alors que j’arrivais à la fin de mes humanités latin-sciences, mon père m’a demandé ce que j’aimerais faire comme études. Lorsque je lui ai répondu que j’aimerais faire l’Académie des Beaux-Arts sa réponse fut très claire: « Il en n’est pas question, la peinture c’est un beau hobby , pas un métier ! » En second choix j’ai pensé à l’Architecture, pour le dessin, dans une école supérieure comme La Cambre…pas encore assez sérieux aux yeux de mon père. En fait, avant de me demander mon avis, il avait déjà son idée sur ce qu’il voulait me faire entreprendre comme études : des études d’Ingénieur Civil à l’Université, un rêve personnel qu’il n’avait pu réaliser à cause de la seconde guerre mondiale. L’orientation en architecture fut la seule concession possible.
Avec le recul, je remercie mon père d’avoir fait preuve d’autorité, de m’avoir imposé la difficulté et la rigueur. A dix-huit ans, j’avais surtout envie de m’amuser. Une dizaine d’années plus tard, quand j’ai commencé à vivre de mon art, mon père figurait au premier rang de mes fans.
– Dans ton premier métier tu t’es orienté vers la recherche en urbanisme, plutôt que la construction, pourquoi ?
La ville, son évolution et d’une façon générale les phénomènes urbains me fascinent depuis longtemps et Bruxelles, ma ville natale, m’interpelle.
Pour comprendre mon orientation il est essentiel de se replonger dans le contexte des années 1975-1978 période où dans la future capitale de l’Europe le terme « bruxellisation * » prend tout son sens. Mon travail de fin d’études intitulé « Essai de réparation d’un tissu urbain » sera déterminant pour la suite. Herman Becker, responsable des travaux pratiques en urbanisme , d’origine allemande, d’une sensibilité hors du commun avec un esprit critique et analytique impressionnant, sera mon mentor pour la fin de mes études. Il soutiendra ma candidature de chercheur et assistant en urbanisme au sein de l’Université.
Note : « Bruxellisation » est un terme utilisé par les urbanistes pour désigner les bouleversements urbanistiques d’une ville livrée aux promoteurs au détriment du cadre de vie de ses habitants, sous couvert d’une « modernisation » nécessaire.
– Dès le début de ta carrière tu as été marqué par deux ouvrages qui constituent toujours une sorte de ligne de force de ton travail : « Les villes invisibles » d’Italo Calvino et « La poétique de l’espace » de Gaston Bachelard. Peux-tu expliquer les raisons de ces coups de cœur ?
Comment expliquer un coup de cœur ? Si ce n’est par l’écoute de nos propres intuitions?
Dans « les villes invisibles » d’Italo Calvino c’est clairement l‘imaginaire développé dans la description des villes découvertes par son héros Marco Polo, mais également la relation particulière qu’il développe avec le Grand Khan son employeur. D’une certaine manière, il est l’interprète des rêves de son commanditaire. Quel beau métier! Aussi merveilleux que peu probable! Nous y reviendrons.
Gaston Bachelard, scientifique, philosophe et poète, donne à l’espace dans lequel nous vivons une dimension qui échappe aux plans des architectes penchés sur leur planche à dessin ou concentrés sur leurs ordinateurs, une dimension qui suscite le rêve.
– Le second choc qui a orienté ton évolution vers la peinture est ton expérience dans la ville saharienne de Ghardaïa, une sorte de synthèse entre Calvino et Bachelard. Qu’est-ce qui t’as le plus marqué dans ce voyage hors du temps ?
La rupture totale avec le train-train d’un quotidien que j’ai été obligé de quitter pour satisfaire aux obligations d’un service civil dans un pays dit « en voie de développement », puisque j’avais refusé d’effectuer le service militaire imposé par la loi belge à cette époque. Changement de culture, de lieu de vie, de climat, de travail, de tout… Et apprentissage de la solitude. Mais aussi et surtout un nouveau rapport à l’espace, à l’immensité, au lointain. Habiter une maison à l’extrémité de la palmeraie, là où l’oasis rencontre le désert, là où le ciel à l’infini rejoint la terre. Entre l’île et l’oasis il y a quelques similitudes, comme entre la mer et le désert, on ne s’y aventure pas à la légère.
– De retour de Ghardaïa, après quelques hésitations, tu décides d’abandonner l’architecture et l’urbanisme pour te dédier à la peinture. Est-ce le résultat de la constatation de l’impasse humaine dans laquelle se trouve l’urbanisme moderne, la distance toujours plus grande entre la ville et ses habitants, la perte de mémoire inscrite dans les pierres, une réalité particulièrement cruelle à Bruxelles où des chefs d’œuvre architecturaux comme la Maison du peuple de Horta, où les habitations moyenâgeuses du Coudenberg ont été détruit sans scrupules ?
Je n’ai jamais décidé d’abandonner l’architecture et l’urbanisme, mais travailler dans un bureau d’architecture conventionnel ou dans un milieu académique comme celui que j’avais quitté avant de m’expatrier ne m’attirait pas vraiment. Je pense être rétif à toute forme d’autorité et le fait d’avoir commencé à vivre avec une styliste indépendante travaillant pour le théâtre, le cinéma et la publicité fut sans aucun doute déterminant. Si à cela tu ajoutes l’inertie des phénomènes urbains, coincés entre les intérêts des promoteurs et les visions à court terme des politiciens, le peu de place laissé à la créativité et à l’imagination dans le domaine de la construction et de l’urbanisme… J’ai dû choisir entre une profession qui en théorie m’attirait mais qui en pratique risquait de me déprimer et un métier, certes peu probable, mais dans lequel je pouvais m’épanouir, rêver et renouer avec mes aspirations les plus profondes.
– Est-ce pour affirmer cette nostalgie de l’espace urbain à hauteur d’homme que tu as décidé de dédier une part importante de ton travail à la peinture monumentale où l’architecture de « l’impossible qui devient probable » joue un rôle prépondérant ? et en quoi le dialogue avec commanditaires, passants et curieux est important ?
Non, aucune nostalgie mais une volonté de transcender, d’aller au-delà des murs qui nous entourent, d’effacer les frontières entre peinture et architecture. Par ailleurs, lorsqu’une peinture murale s’intègre dans l’espace public les interactions avec les passants – utilisateurs de cet espace sont fréquentes. Partager son bonheur d’exercer un métier comme celui d’artiste peintre en répondant aux questions ou attentes du public est essentiel, d’autant que je suis partisan du déconfinement de l’art. Pourquoi le cantonner aux musées ou aux collections privées? L’art a un rôle important à jouer dans l’espace public.
– Rêveries et imaginaire sont les deux points forts de ta narration picturale qui te portent à utiliser la technique du trompe l’œil. Es-tu influencé par l’art baroque, l’art italien et quel est de cette période ton peintre préféré ?
La technique du trompe l’œil dans l’art baroque a pour but essentiel de donner une illusion d’espace. Pour moi cette technique a pour but essentiel d’assurer une transition harmonieuse entre la réalité architecturale du contexte et une autre dimension, faisant la part belle à la rêverie et l’imaginaire. Le trompe l’œil n’est pas une finalité mais un moyen pour arriver à mon objectif. De plus, j’aime l’Italie, son patrimoine, sa culture, ses centres historiques, ses paysages, du Nord au Sud, en passant par Rome, bien sûr!
Mes peintres préférés de la période baroque se nomment Canaletto, Guardi, Tiepolo, mais ils ne sont certainement pas les plus baroques, et j’ai infiniment plus d’attirance pour les compositions de Claude le Lorrain que pour les étalages de chair signés par Rubens!
– Depuis toujours tu te promènes, où que tu ailles avec un carnet de dessins que tu remplis d’esquisses, de dessins, souvent à l’encre, et de réflexions. Quelle est pour toi l’importance du dessin au crayon ou à l’encre et te plait-il aussi de dessiner sur feuilles de plus grand format des œuvres abouties ?
Le carnet de dessin, de croquis, de notes… c’est avant tout un compagnon de route, fidèle, toujours à l’écoute de mes délires graphiques ou poétiques.
Il est une sorte de mémoire suppléante, il permet de fixer sur le papier des moments de bonheur en leur donnant un ancrage dans le temps, il invite parfois tout simplement à s’asseoir, à se poser, à poser son regard.
La technique n’a pas vraiment d’importance. Quand on aime dessiner ; plume, bic ou crayon, tout est bon!
Bien sûr, j’aime également dessiner sur une belle grande feuille de papier de bonne qualité, mais la démarche est différente. Le carnet c’est la mobilité, la liberté, dessiner ou écrire n’importe quoi n’importe où, n’importe quand. La belle grande feuille relève plus d’un travail d’atelier.
– Ta démarche picturale repose sur ce que tu qualifies de « réalisme poétique ». Peux-tu préciser en quoi consiste cette démarche ?
La réalité, son observation et son analyse, ne sont pas la finalité mais le point de départ, le tremplin pour atteindre un monde imaginaire avec une dimension onirique et poétique. Tu parlais dans une question précédente de « l’impossible qui devient probable », c’est sans doute un axe important de ma démarche qui associe réalisme des références, des sources d’inspiration et volonté d’aller plus loin, au propre comme au figuré, tout en gardant une certaine crédibilité dans la mise en scène des éléments constitutifs de la composition du tableau. Le côté narratif occupe également une place importante dans mon approche picturale, bon nombre de mes tableaux racontent une histoire , posent une question où tout simplement sont des invitations à un voyage pour lequel point n’est besoin de faire ses bagages. Il est pour moi essentiel de donner un sens à un tableau, offrir au public la possibilité d’en faire sa propre interprétation, sa propre rêverie méditative. Si à cela tu ajoutes un grand intérêt pour l’harmonie dans la recherche de la perspective et de la lumière, tu arrives à résumer ma démarche.
– Une autre référence picturale émaille un grand nombre de tes œuvres : le palais de justice de Bruxelles, construit par l’architecte Joseph Poelart, qualifié par les habitants du quartier des Marolles expulsés par la police de « Skieve architect » (« architecte tordu » en dialecte marollien). Pourquoi cette fascination ?
J’ai côtoyé ce palais hors normes pendant toute la période de mes humanités. Il faut savoir que ce bâtiment de 26.000 m2 construit durant la seconde moitié du XIX ième siècle dans un style éclectique gréco-romain est sans doute l’un des plus grands édifices de la planète réalisé en pierres de taille. Plus grand que la basilique Saint Pierre, il impose aux visiteurs et aux justiciables un spectacle qui n’aurait pas déplu à un certain G.B. Piranesi (architecte et graveur italien du XVIIIème), que j’affectionne particulièrement. Mais au-delà de cette fascination au premier degré, il y a quelques interrogations sur la représentation symbolique de la Justice et l’actuelle déliquescence de cette vénérable institution.
– Dans ton œuvre plus personnelle tu te fais l’explorateur de tes propres rêveries, toujours avec le même onirisme surréaliste qui fait une large place à des clins d’œil humoristiques. Contrairement à des artistes comme Marcel Duchamp ou Marcel Broodthaers, ton humour n’est ni une critique sociale ni caricatural. Quel est pour toi le rapport entre art et humour ?
Certes je n’ai pas grand-chose en commun avec les deux Marcel précités ni même avec bon nombre d’artistes dit contemporains. Pour moi l’amour et l’humour sont les deux mamelles de la vie. Quant à la relation entre art et humour je l’envisage plus comme un clin d’œil complice avec le public par le biais d’un chemin de traverse subtil qui vise plus à provoquer le sourire et à inviter à la réflexion qu’à choquer, ou prendre les gens pour des imbéciles, et faire de l’art un objet de spéculation. La « Merda d’artista » de Manzoni, épigone de Marcel Duchamp, vendue à Londres chez Christie’s en 2015 pour environ 200.000 € la petite boite à conserve me pose question.
– Depuis quelques années tu as décidé de changer de vie, de quitter ta ville, Bruxelles, d’abandonner la peinture murale, pour te consacrer exclusivement à la peinture sur chevalet. Cela veut dire que maintenant seule ton imagination te sert de guide pour jouer le Marco Polo de l’exploration de tes rêveries, que tu souhaites en quelque sorte boucler la boucle ouverte avec la lecture de Calvino et de Bachelard ?
Décidé de changer de vie, non pas vraiment. Changer d’environnement, oui sans aucun doute. A force de peindre des villes imaginaires et des horizons lointains sur les murs d’autrui est venu le moment de franchir le mur pour se rapprocher de la Nature.
J’ai eu la grande chance de pouvoir vivre de mon art. Vivre de son art, je pense, est un art en soi. La frontière entre l’art et l’artisanat n’a pas vraiment d’importance pourvu que l’on ait du plaisir à exercer son métier.
Marco Polo, mon double, plus libre que jamais s’aventure désormais sur les chemins de l’imaginaire, avec en poche « la poétique de la rêverie » et « l’intuition de l’instant » de son copain Gaston (Bachelard). La boucle est bouclée, à moins qu’une page ne se tourne pour commencer un nouveau chapitre qui pourrait s’intituler « L’apprentissage d’un apprenti sage ». Celui où le peintre-dessinateur-compulsif, a plus envie que jamais, à coups de pinceaux ou de crayons, de déclarer son amour du beau et d’interpeller avec humour un monde qui parfois perd un peu la raison.